Le 31 Octobre 1980, vers 13h, alors que j’étais en permission de courte durée, je fus appelé d’urgence par le Commandant, Chef de cabinet du Général Chef d’état Major général des Armées, qui me demanda, toutes affaires cessantes, d’aller répondre au Général CEMGA.
ARMEES – Je rappliquai aussitôt et me rendis au cabinet du Général, qui était dans une effervescence inhabituelle.
Aussitôt arrivé, le Commandant des Armées me reçut et me dit :
Commandant SY :
– le Président Daouda Diawara de Gambie vient de demander au Président Senghor, l’intervention de nos forces armées, afin d’empêcher toute action séditieuse de se produire, au cours des funérailles du Commandant Mahonney des (Feld Force) Police gambienne, assassiné par un membre de cette force. Nous ne disposons d’aucune information supplémentaire au moment où je vous parle ;
il est 13 heures 15, vous devez être à Banjul à 16 heures au plus tard ;
– vous avez 2g hélicoptères Puma et deux 2 Fokker à votre disposition pour la prise de l’aéroport de Yundum, afin de permettre aux avions transportant les éléments du Groupement Parachutiste de se poser en force…
le Chef des Paras, le Commandant Bampassy vous donnera l’élément qui vous permettra de remplir votre mission. Avez-vous des questions ?
Pour moi, tout était dit. Avec toutes les actions que nous avions à mener pour être à Banjul impérativement à 16 heures, il n’y avait pas de temps à perdre.
Cependant, malgré la pression, il me vint l’idée de demander un document au général CEMGA pour nous couvrir quant aux conséquences futures de cette intervention, en pays étranger, fût-il un pays ami.
A la suite de quoi, le Général écrivit de sa main sur une grande carte de visite que je garde encore : le Commandant Ibrahima Sy, représentera le Général Chef d’Etat Major Général des Armées dans l’Opération Fodé Kaba qui doit se dérouler à partir de ce jour en Gambie ; il s’agissait du seul document rédigé ce jour là en raison des délais incompressibles et aussi pour rester dans le temps de la mission.
A 15 heures, nous décollions de l’aéroport de Yoff pour une aventure militaire qui pouvait avoir des conséquences funestes mais tel était notre destin de soldats.
Au cours du vol au ras des vagues de l’Océan Atlantique, je réfléchis à ma mission, qui était, une mission de combat, qui pouvait comporter des risques de pertes en vies humaines aussi bien de notre côté que de celui de nos vis à vis.
En outre, au départ, nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes.
De l’hélicoptère leader, je transmis à l’Adjudant Chef Mamadou Niang Para mes instructions, à mon second qui était dans le deuxième hélicoptère avec son groupe.
Nous avions à YUNFUM AIRPORT, deux objectifs à saisir :
l’escale où se trouvaient les policiers de garde que je me, réservais ;
,-la tour de contrôle de l’aéroport qui devait commander l’arrivée de nos avions avec les Paras, mission que je confiais à mon second, l’Adjudant Chef Niang Para.
DIEU merci, après un vol sans incident aux ras des vagues, à l’approche de Yundum, nous nous élevâmes juste au-dessus de la falaise de Bakau (Bakaw) pour nous poser en toute surprise entre l’escale et la tour de contrôle, nos deux objectifs.
Nos pilotes d’hélicoptères étaient des as rompus à leur travail.
Aussitôt arrivés, l’Adjudant Chef Niang Para s’empara de la tour de contrôle de l’aéroport, pendant que je prenais le contrôle de l’escale de l’aéroport avec la douzaine de policiers de tout grade, surpris par la soudaineté de notre action.
Ces derniers, enfermés dans leur salle de repos, séparés de leurs armes, attendirent dans une panique totale la fin de notre opération.
Dix minutes après notre arrivée à YUNDUM, nos avions étaient là avec la Première compagnie Para, commandée par le Lieutenant Bakari Seck qui allait hériter plus tard de, ce corps d’élite et finir sa carrière comme Général de Division.
La première Compagnie Para, fit ce jour là, un travail remarquable par son professionnalisme et sa discipline de feu, couvrant tous ses objectifs avant 18 heures ; ce qui permit à son chef de corps, le Commandant Didier Bampassy, également venu avec les premiers éléments du Groupement Parachutiste, de rendre compte de la totale réussite de cette opération, qui avait atteint par surprise tous ses objectifs à savoir :
l’aéroport de Yundum tenu ;
le camp des Policiers de Bakau occupé ;
le pont Denton (denton bridge) qui commande l’entrée de Banjul tenu sous contrôle ;
State House le palais du Président sous la garde des Paras ;
le Commandant de l’opération installé à l’État major de la Police de Gambie.
Le 31 Octobre1980 à 18 heures, tout était fini, Fodé Kaba était une réussite complète, sans qu’un seul coup de feu ait été tiré et sans effusion de sang.
Si Fodé Kaba, dans sa première phase, la partie militaire a été une réussite sans précédent, sa partie politique allait permettre de découvrir dès le lendemain de l’opération que le Président Diawara état un homme politique extrêmement rusé qui, pour des raisons de politique intérieure a été capable de travestir la vérité pour présenter
FODE KABA comme une manœuvre de coopération militaire entre pays amis ; ce qui nécessita l’intervention énergique du gouvernement sénégalais pour rétablir la vérité au plan international.
Cependant, au cours de ce bref séjour en Gambie, on s’était aperçu de certaines zones d’ombres qui comportaient des risques graves pour la sécurité de la Gambie et l’équilibre des deux pays.
En effet, frustrés, humiliés par cette opération militaire sénégalaise, qui les avait empêchés de dérouler leur programme que certains policiers gambiens rémunèrent et développèrent un sentiment de revanche et de haine que l’on avait fini par démasquer.
Cette situation qui nous avait permis de nous préparer à cette menace à venir.
Ceci se confirmera, huit (8) mois plus tard, par le coup d’Etat de Koukoye Samba Saniang qui devait entraîner une nouvelle intervention du Sénégal, pour chasser les rebelles, intervention connue sous le nom de Fodé Kaba2.
Pour terminer, il faut rétablir un devoir de vérité en rendant justice aux hommes de Fodé Kaba1, les parachutistes et aviateurs qui, par leur technicité opérationnelle avaient rendu possible, une action militaire extrêmement difficile, réalisée en un temps record et, surtout, sans effusion de sang rien que par la surprise et la maîtrise technique militaire.
En effet, en trois heures, alerter les Paras, percevoir les, matériels, l’armement et les munitions de guerre, effectuer une projection opérationnelle sur une distance à vol d’oiseau d’environ 200 kilomètres et atteindre les objectifs assignés, en pays étranger, entre 16 heures et 18 heures, constitue un exploit de disponibilité opérationnelle, qui reste difficile à réaliser aujourd’hui ; même pour une armée bien équipée.
En effet, classer de manière péremptoire Fodé Kaba1 comme une Gesticulation, relève pour ceux qui l’ont fait, comme un déni stratégique car, cette opération n’était, ni décidée, ni planifiée, ni réalisée, de manière unilatérale par le Sénégal mais, à la demande volontaire et unique de la Gambie souveraine.
Aussi, si l’on s’en tient au respect de la terminologie militaire et diplomatique qui définit la gesticulation comme une action délibérée, consistant à montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir, Fodé Kaba, a été très loin du schéma simplificateur dans lequel cette opération a été classée car nous étions en mission de guerre.
C’est la raison pour laquelle, pour l’histoire, pour la grandeur de notre armée et pour la postérité plus équitable, il convient de dépoussiérer le dossier Fodé Kaba1, et de le remettre à sa place, afin de permettre à la jeunesse de notre pays et surtout aux héritiers de cette tradition militaire honorable, de recevoir sans détour et en toute vérité, cet héritage d’honneur et de vertus qui est à la base de l’histoire des grands pays, parce que constitués de grands peuples et le Sénégal est parmi ceux-là .
Maderpost / Emedia