Au Sénégal, le sujet est Tabou. Citoyen lambda ou personnalités publiques, personne ne veut révéler les contours de ses émoluments ou de son patrimoine.
SALAIRE ET PATRIMOINE – « On a l’habitude de dire qu’il y a certaines normes dans lesquelles vous pouvez convier n’importe quel individu. Mais dans votre intimité, souvent, certaines personnes qui vous sont très proches, n’osent pas empiéter sur cette sphère-là. C’est une partie de soi et le salaire en fait partie. » Ces propos sont du sociologue Abdourahmane Sanogo.
Le spécialiste explique qu’en Afrique, à partir de votre salaire, la société peut négativement comme positivement apprécier votre niveau de vie. L’autre aspect, c’est que beaucoup avancent la question du mauvais œil. A cela, il faut ajouter la modicité des salaires, au moment où l’estime et le respect conféré à l’individu dans la société, dépend parfois, du niveau de ses revenus. Ce qui pousse beaucoup de sénégalais à « envelopper d’un certain voile leur salaire afin que les uns et les autres puissent les considérer davantage. »
Seulement, ce secret qui enveloppe le salaire et les avoirs, ne se limite pas au citoyen lambda. Pour, parfois, des raisons moins sociologiques, nombre de personnalités publiques soustraient leurs avoirs des regards. Quitte à, même, mettre ses biens aux noms de proches.
En effet, la déclaration de patrimoine, même rendue obligatoire par la loi, est devenue difficile à faire appliquer. Pourtant, pour préserver les ressources publiques de toute prévarication, le Décret n°2014-1463 du 12 novembre 2014, portant application de la loi n°2014-17 du 2 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine, est bien connu de tous.
Macky, « Vaut mieux ne rien publier et cacher son patrimoine, cela attire moins de problèmes »
En 2012, dès le début de son 1er mandat, le président Macky Sall s’est prêté à l’exercice. Entre Villas et terrains au Sénégal, appartement à Houston, parts dans des sociétés immobilières, parc automobile, le patrimoine présidentiel s’est retrouvé sur la place publique, au cœur d’un tourbillon médiatique. Comment a-t-il pu en amasser autant, se demandaient nombre de nos concitoyens ? L’intéressé n’a pas aimé.
«J’ai tenu, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, à déclarer publiquement mon patrimoine, malgré les polémiques entretenues à dessein par mes adversaires. Visiblement, il vaut mieux ne rien publier et cacher son patrimoine, cela attire moins de problèmes », avait-il déclaré dans les colonnes de Jeuneafrique.
Si le président de la République s’est prêté à l’exercice dès l’entrée d’exercice, nombre de ses ministres ont traîné les pieds. Il a fallu qu’il leur donne un ultimatum. En plein conseil des ministres, il avait signifié, « à tous les membres du Gouvernement, l’impératif de procéder, avant fin août 2020, à leurs déclarations de patrimoine auprès de l’Ofnac. » Jusqu’ici, nombre d’assujettis trainent les pieds.
Et pourtant, dans les pays comme la France, le patrimoine des dépositaires du pouvoir public est rendu public et consultable en ligne. Il suffit juste d’aller sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Les déclarations d’intérêts et déclarations de patrimoine, tout est en ligne. A l’entrée comme à la sortie. Pourquoi les autorités sénégalaises ont-elles donc peur que leurs avoirs se retrouvent sur la place publique ?
Contacté par Igfm, le politologue Moussa Diaw explique que parmi ceux qui sont à la tête de ministères, de sociétés nationales et autres, certains sont fonctionnaires. D’autres n’étaient, à la limite, sans emploi. Et au bout de quelques années au pouvoir, ils s’enrichissent. Et la gestion de l’argent public « a permis à certains hommes politiques d’avoir des ressources parce que dans le passé, ce n’était pas des entrepreneurs. »
Le politologue parle d’un système d’accumulation de ressources une fois au pouvoir. « C’est extraordinaire parce que nous sommes dans des pays pauvres et que les hommes politiques pillent les ressources publiques pour s’enrichir ». Et ces ressources frauduleusement amassées, leurs détenteurs les soustraient des regards à tout prix.
Maderpost / Igfm