Par Désiré Mandilou
OPINION – Il est vital pour les Africains de comprendre exactement ce qui se passe dans l’écosystème monétaire international actuel, construit sur le dollar. Cecil Rhodes, homme politique britannique à qui on doit l’ancien nom du Zimbabwe, la Rhodésie, déclarait que l’impérialisme était la seule solution pour soulager la misère ouvrière anglaise.
Ce à quoi son ami Stanley, alias «bula matari» (briseur de roches), ajoutait, en 1877 à la chambre des communes : «Si nous parvenons à convaincre tous ces nègres qui vont nus, à se couvrir ne fût-ce que le jour du Seigneur, quel merveilleux débouché pour les filatures !»
De ses origines à nos jours, le capitalisme a toujours eu besoin de débouchés. Antoine Riboud, un capitaine d’industrie pragmatique du xxe siècle, résumait tout cela par une maxime : «Il faut les parts de marché d’abord, l’enrichissement vient après.»
On est ainsi passé, à travers le temps, de la colonie pure et simple aux parts de marché, c’est-à-dire à des fractions du revenu du reste du monde. Faut-il en conclure que l’impérialisme contemporain est devenu plus light, allégé en esclaves dans ses cales ? Peut-on dire que l’Afrique a perdu son meilleur ennemi ?
Dans les siècles précédents, un pays était dit impérialiste lorsqu’il était un «centre» de production, qui écoulait sa surproduction industrielle vers des «périphéries» colonisées. Le pays impérialiste recevait, en contrepartie, la survaleur réalisée en monnaie.
En termes usuels, on disait qu’un pays centre était un pays vers lequel convergeaient des flux monétaires en provenance de la périphérie, en contrepartie d’excédents commerciaux ; lesquels flux monétaires étaient in fine recyclés dans les mêmes périphéries colonisées sous forme de dettes.
C’est le modèle décrit dans les travaux d’E.J. Hobsbawm, que «le camarade Lénine», baptisa «stade suprême du capitalisme» dans son opuscule sur l’impérialisme.
Exactement un siècle après l’analyse léniniste, nous constatons cependant que le pays centre de l’économie mondiale, les États-Unis, importe plus qu’il n’exporte. Le pays centre consomme plus qu’il ne produit. Nous savons par ailleurs qu’aucun pays ne peut acheter plus qu’il ne vend à l’étranger, sans emprunter (vendre des titres d’emprunts) au reste du monde.
Les importations nettes sont des emprunts de revenu, dans le mouvement même de leur formation. La situation contemporaine ne laisse donc la place qu’à deux interprétations.
Comment vivre au-dessus de ses moyens
Primo : on doit considérer aujourd’hui que la Chine est devenue le vrai pays centre, déversant sa surproduction industrielle aux USA devenus «une périphérie» pour la Chine.
La Chine replace aux USA, sous forme de dettes, la contrepartie monétaire de ses exportations nettes. Secundo : les États-Unis restent le pays centre, le pays impérialiste par excellence, qui capture toujours de la valeur des pays périphériques colonisés.
Simplement, le mode de capture de la valeur a changé. Le camarade Lénine était loin d’imaginer qu’il puisse exister des formes plus élaborées d’impérialisme. Des formes dans lesquelles, le pays centre vivrait au-dessus de ses moyens, aux dépens du reste du monde. Les deux termes de l’équation sont vrais.
Le centre et sa périphérie constituent une réalité qui perdure, un passé qui ne passe pas. Il reste juste à expliquer comment les USA peuvent être plus impérialistes que jamais, donc à identifier le nouveau mode de capture de la valeur.
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