Il est des hommes, dans la grande fresque de l’Histoire, qui surgissent avec une force inouïe, balayant les dogmes et les coutumes, réveillant des rêves enfouis au plus profond des cœurs. Comme un torrent qui dévale des montagnes, emportant les vieux mondes et les espérances éteintes, ils bouleversent l’ordre ancien.
TRIBUNE – Ousmane Sonko est de ceux-là. Il est l’écho d’une nouvelle aube, celle qui s’éveille non pas sous les chants de la victoire facile, mais dans le bruissement humble des sacrifices partagés.
Il n’est pas un nom parmi d’autres, il est le symbole vivant de ce qui pourrait être : l’homme qui a tracé un chemin là où tout semblait figé, usé, trahi par les promesses inachevées.
Pour la première fois, dans ce pays meurtri par des années de soumission au jeu cynique des politiciens, un leader a demandé à ses militants non pas de recevoir, mais de donner.
Donner leur foi, leur engagement, leur espoir. Il ne leur a pas offert le confort illusoire de l’achat de leur soutien, comme tant d’autres avant lui. Non. Il a posé la question essentielle que toute nation doit se poser : jusqu’où es-tu prêt à aller pour ta patrie ?
Des milliers ont répondu à cet appel, en ce jour du samedi 19 octobre 2024, sous le soleil ardent, la faim dans le ventre ; ils étaient plus de 25 000, jeunes et vieux, et même ceux que le destin a privé de mobilité, venus de leur propre volonté, sans promesse de repas gratuit ou de transport payé.
Ils étaient là parce que, pour la première fois, ils étaient appelés à donner, à investir dans leur propre avenir, dans cette idée plus grande qu’eux : la patrie.
Dans l’histoire des luttes politiques, rares sont les moments où un leader parvient à redéfinir radicalement les bases de l’engagement populaire.
Ce que nous voyons aujourd’hui à travers le phénomène Ousmane Sonko, c’est l’émergence d’un nouvel hégémon politique, celui qui articule la volonté des masses à un projet de transformation nationale.
En cela, Sonko ne représente pas seulement un homme ou un parti, mais une rupture épistémologique dans le champ politique, une tentative consciente de subvertir l’ordre établi et de forger une nouvelle hégémonie culturelle, fondée sur le patriotisme et la participation active des citoyens.
Dans cette réunion où chacun a contribué au minimum pour 1000 francs, il ne s’agissait pas d’un simple billet pour un meeting politique. C’était une participation à une grande œuvre collective, un morceau d’âme offert à une cause commune.
Il y avait dans ce geste l’essence même du patriotisme tel que Sonko le définit : le don de soi pour la patrie. Non pas un patriotisme fait de slogans creux ou de démonstrations vaines, mais celui qui naît de l’effort partagé, de la douleur supportée ensemble, de la lutte quotidienne
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce n’est pas seulement une campagne électorale financée par des contributions modestes, c’est un acte de foi. Une déclaration silencieuse, mais puissante, que ce peuple, qui trop souvent a été considéré comme un simple acteur passif, se dresse désormais, maître de son destin, dépositaire de son avenir.
Cette foule immense a pris conscience que le seul véritable pouvoir est celui que l’on s’accorde à soi-même en refusant d’être les marionnettes des jeux d’ombres et des illusions.
Sonko a réinventé l’acte politique. Ce n’est plus une transaction, c’est une communion. Et ceux qui ont répondu à son appel, ces milliers de femmes, d’hommes, de jeunes, et d’handicapés qui ont bravé le soleil et la faim, sont les porteurs d’un double message que même les vents de l’histoire ne pourront effacer : la véritable révolution n’est pas celle que l’on attend de l’autre, mais celle que l’on porte en soi ; le plus grand des engagements est celui que l’on fait envers sa patrie, non par contrainte, mais par amour.
Un amour exigeant, qui appelle au don, au dépassement de soi. Un amour qui, loin des mensonges du passé, ouvre les portes d’un avenir qui appartient à ceux qui sont prêts à se tenir debout, non pas pour recevoir, mais pour donner.
Le patriotisme prôné par Sonko, basé sur le « don de soi pour la patrie », est précisément cette construction d’une nouvelle conscience nationale, où l’État n’est plus perçu comme l’entité détachée qui subvient aux besoins des citoyens, mais comme une œuvre collective à bâtir ensemble.
Sonko fait appel à une transformation de la « structure » et de la « superstructure » à la fois.
D’un point de vue structurel, il refuse la traditionnelle politique de clientélisme où les masses sont achetées par des avantages matériels. Au contraire, il leur demande de contribuer, non pas en échange d’une récompense immédiate, mais pour le bien commun.
Cette inversion des rôles n’est pas qu’une stratégie économique ; c’est une rupture avec l’ancien système de domination. Elle engage une nouvelle forme de rapport de pouvoir, où le peuple ne subit plus, mais devient l’acteur principal de son propre destin.
Sur le plan superstructurel, Sonko cherche à forger une nouvelle identité nationale. En demandant à ses partisans de financer eux-mêmes sa campagne électorale, il introduit un processus de conscientisation où chaque citoyen se voit investi d’un rôle actif dans la lutte politique ; il instaure ainsi une pédagogie de la lutte, une école du pouvoir populaire où chaque contribution, aussi modeste soit-elle, devient un acte de résistance contre le système établi.
Ce n’est plus l’élite qui dispense des faveurs au peuple ; c’est le peuple qui prend en main son destin, dans une démarche de responsabilité partagée.
Les 25 000 personnes qui ont répondu à l’appel de Sonko, malgré la faim, la chaleur, et les difficultés matérielles, sont la preuve vivante de cette révolution silencieuse. Ce sont des « intellectuels organiques » au sens gramscien du terme, c’est-à-dire des individus qui, à travers leur engagement pratique, contribuent à la construction d’une nouvelle culture politique.
Ils ne sont pas de simples spectateurs ; ils deviennent les artisans d’une nouvelle forme d’organisation sociale. Gramsci nous rappelle que les révolutions ne se font pas seulement avec des armes, mais avec des idées et des pratiques qui modifient en profondeur les relations de pouvoir.
Dans cette démarche, il se positionne comme un leader gramscien, un « intellectuel de la praxis » qui ne se contente pas de critiquer l’ordre existant, mais qui propose une nouvelle organisation sociale, ancrée dans la participation populaire.
Ce qu’il demande à ses partisans n’est pas seulement un soutien financier, mais une adhésion à une nouvelle forme de citoyenneté, une citoyenneté active, consciente de ses droits et de ses devoirs envers la collectivité.
Les jeunes, les personnes âgées, les handicapés moteurs qui ont bravé les conditions difficiles pour rejoindre Sonko ne sont pas des victimes du système ; ils en sont les protagonistes, les acteurs d’un changement qui se joue à la fois sur le terrain économique et symbolique.
Ils redéfinissent ce que signifie être citoyen dans une démocratie. Ce n’est plus une simple appartenance passive, mais une responsabilité active, un devoir de contribuer à la construction d’un avenir commun.
Dans l’absurdité de la politique moderne, où les promesses se font et se défont avec le même cynisme, Ousmane Sonko propose quelque chose de différent : une participation directe, un contrat moral entre un leader et ses partisans, fondé non sur des avantages matériels immédiats, mais sur un engagement profond et désintéressé.
C’est peut-être cela, au fond, le véritable patriotisme. Et c’est en cela que Sonko incarne un hégémon politique inédit.
Camus nous aurait rappelé que, dans la révolte, il n’y a pas de victoire garantie. Sonko, comme tout autre homme politique, peut échouer. Mais l’essentiel n’est pas là.
L’essentiel réside dans le fait que, pour la première fois, ces milliers de personnes ont fait un choix : celui de ne plus subir, celui de ne plus se contenter de ce qu’on leur offre, mais de contribuer eux-mêmes à forger leur destin, même s’il est incertain.
La grandeur de cet acte ne réside pas dans le succès éventuel de Sonko, mais dans cette volonté collective de sortir de l’absurde pour se réapproprier leur dignité. Comme Camus l’aurait dit : « Je me révolte, donc nous sommes. ».
Par cet acte de révolte patriotique, ces citoyens affirment non seulement leur existence, mais celle de la patrie qu’ils entendent reconstruire. Avec ou sans Sonko.
ABS