Élu dimanche président d’Argentine en proposant une « thérapie de choc » pour un pays à l’inflation record, Javier Milei devra faire face à de nombreux défis, notamment en termes économiques et de gouvernance.
GOUVERNANCE – Quels sont les points importants du programme de Javier Milei ?
Javier Milei a promis « un traitement de choc » pour l’économie argentine, marquée par une inflation galopante à 143% depuis le début de l’année. Pour tenter de la juguler, le nouveau président argentin compte couper à la « tronçonneuse » dans la dépense publique (de 15%). Il a aussi évoqué des privatisations pour parvenir à la discipline budgétaire requise par le FMI, auquel le pays doit rembourser un prêt de 44 milliards de dollars octroyé en 2018. Il prône aussi la fin des subventions chroniques (transports, énergie), une libéralisation des prix, la suppression des taxes à l’export.
D’un point de vue sociétal, il prône la libéralisation de la vente d’armes. Il compte par ailleurs revenir sur le droit à l’avortement en organisant un référendum pour abroger la loi adoptée fin 2020, nie les inégalités hommes-femmes et l’existence de violences de genre, et suscite l’inquiétude de la communauté LGBT+, qu’il a décrite comme un « lobby » par le passé. En mai 2022, il annonçait avoir l’intention de supprimer le ministère argentin des Femmes, des Genres et de la Diversité s’il était élu. Il a également tenu des propos climatosceptiques.
Dollariser l’économie est-il vraiment possible ?
La dollarisation de l’économie est une clef du programme du futur président pour juguler l’inflation. Le président élu compte abandonner le peso, en constante dépréciation, et passer au dollar américain. Mais la dollarisation de l’économie nécessite un stock considérable de billets verts. Or les réserves de l’Argentine sont dangereusement basses et les économies des Argentins sur lesquelles Javier Milei compte s’appuyer ne suffiront peut-être pas.
Plus de peso argentin, cela veut dire aussi pas de planche à billets à actionner par Buenos Aires, pas non plus de dépréciation de nature à renchérir le coût des importations. En contrepartie, une économie dollarisée impliquerait notamment de se priver d’une politique monétaire indépendante. Celle-ci serait, de fait, « dépendante de la banque centrale des États-Unis, la Fed, ce qui ne correspond pas au cycle économique actuel du pays, et instaure donc une dimension de brouillage de l’action économique de l’Argentine », soutient David Copello, chercheur en science politique à Cergy Paris Université et invité sur l’antenne de RFI.
Et puis, à quel taux se ferait l’échange de monnaie ? Le taux officiel à 369 pesos pour un dollar est considéré comme irréel. Sur le marché parallèle, le dollar bleu dépasse les 900 pesos. De son côté, David Copello estime que la dollarisation pourrait arriver avant même que Javier Milei ne prenne ses fonctions. « Les gens risquent de se ruer sur le dollar en pensant que le peso ne vaut plus rien. Cela pourrait mener à une augmentation très forte du prix du dollar et une baisse de la valeur du peso dans les semaines qui viennent, et donc à une dollarisation de fait de l’économie. »
Pourra-t-il éviter la colère sociale ?
Trancher dans les dépenses publiques de 15%, comme il l’a prévu, peut aussi se révéler impopulaire, dans un pays où 51% des Argentins reçoivent des aides et 40% vivent sous le seuil de pauvreté. « Javier Milei apporte avec lui un ingrédient de confrontation politico-sociale, un discours belliqueux, agressif, d’ajustement envers des secteurs, telle la fonction publique, à forte capacité de mobilisation », estime Gabriel Vommaro, politologue à l’université San Martin, cité par l’AFP. Avec, peut-être, « une voie répressive, dont on ne sait pas comment elle pourrait finir. »
Javier Milei a mis un peu d’eau dans son vin entre le premier et le second tour de la présidentielle, se montrant moins radical. « Nous n’allons pas privatiser la santé, pas privatiser l’éducation », a-t-il par exemple assuré dans son dernier clip.
C’est également ce que souligne le chercheur David Copello sur notre antenne. « Le curseur politique dans lequel s’inscrit Javier Milei se déplace à l’extrême droite, c’est certain. Son discours de victoire après son élection a été brutal et poussif, et correspond à la position initiale de Milei, qui s’était un peu assagi dans l’entre-deux-tours pour capter l’électorat du centre droit. Cette victoire éclatante lui permet de reprendre son discours initial. Et il a un tel succès, qui est historique, qu’il est probable qu’un certain nombre de personnes de la droite classique le suivent sur certains sujets, mais pas tous. Son idée de libéraliser la vente d’organes va être compliquée à faire valoir, par exemple ! »
En l’absence de majorité, pourra-t-il tenir ses promesses électorales ?
« Les grands doutes se trouvent du côté de l’Assemblée nationale de l’Argentine », explique Denis Merklen, sociologue, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et directeur de l’Institut des Hautes études d’Amérique Latine (IHEAL), sur l’antenne de RFI. Le président élu ne dispose pas de majorité à la Chambre des députés, y compris avec son alliance avec le parti de droite de l’ex-président Mauricio Macri. Son parti, La Libertad Avanza, troisième force politique, ne dispose que de 38 députés sur 257, et le bloc péroniste de centre-gauche reste dominant avec 108 députés.
Au niveau local, Javier Milei n’a pas non plus d’élus sur lesquels s’appuyer. « Il n’a aucun maire ou gouverneur qui ne corresponde à son alliance politique, et c’est important dans la mesure où l’Argentine est un État fédéral, constitué de 24 provinces. Au cours des élections dans ces États locaux, aucun des candidats soutenus par Javier Milei n’a été élu. Il a fait une élection triomphale dans au moins sept provinces où il a obtenu plus de 60% des voix, mais les canaux institutionnels de transformation des politiques nationales en politiques locales n’existent pas pour le moment. Cela peut le gêner dans la mesure où certes, il est président, mais il faut que les parlementaires votent ses lois, qu’elles soient mises en pratique dans les provinces », poursuit le chercheur David Copello.
Parviendra-t-il à construire des alliances politiques pour faire voter ses décisions ? « On va voir ce qu’il est capable de faire en termes d’alliance avec les autres partis, analyse Denis Merklen. Ce sera difficile, certainement, d’aller vers ses propositions les plus radicales comme la suppression de la Banque centrale, l’annulation du peso, la dollarisation… »
Si le spécialiste de l’Amérique latine estime que la privatisation voulue de certains secteurs ne devrait pas poser de grandes difficultés, pas sûr en revanche que ses éventuels alliés le suivent sur ses promesses sociétales les plus radicales, telles que le rejet du droit à l’avortement ou les armes en vente libre. Il s’est d’ailleurs fait nettement plus discret sur ces questions lors de l’entre-deux-tours.
À quelle politique extérieure faut-il s’attendre ?
Sur le plan diplomatique aussi, le président élu a affiché un discours de rupture. Il n’a pas été tendre, pendant sa campagne, avec certains leaders de pays historiquement alliés de l’Argentine, tels que le Brésil et la Chine. Javier Milei avait traité l’actuel président du Brésil Lula de « communiste corrompu ». Il avait aussi dit vouloir mettre fin aux liens commerciaux avec la Chine. « Je ne ferai pas d’affaires avec des communistes. Je suis un défenseur de la liberté, de la paix et de la démocratie », avait-il déclaré, affirmant que ses alliés sont « les États-Unis, Israël et le monde libre ». Il avait également évoqué la dissolution du Mercosur.
De façon pragmatique, il lui sera difficile de couper les liens avec ces deux pays qui sont les deux principaux partenaires commerciaux de l’Argentine. « Tout cela semble beaucoup plus difficile, estime Denis Merklen. Les intérêts économiques et commerciaux avec la Chine sont très importants et les investissements chinois énormes. Cela semble une déclaration de campagne bien plus qu’une réalité économique. »
Brasilia comme Pékin ont en tout cas félicité le nouveau président élu. La Chine désire « travailler avec l’Argentine pour poursuivre l’amitié » entre les deux pays ainsi qu’une « coopération gagnant-gagnant », a indiqué à la presse le porte-parole du ministère chinois.
Javier Milei pourrait en revanche apporter un ton nouveau sur la question des îles Malouines, où il s’est dit disposé à négocier, non pas, la souveraineté argentine, mais une solution à long terme du type de celle qui mena à la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997.
Maderpost / Rfi