La France est en feu, quelques semaines après que de jeunes Dakarois, Ziguinchorois ont allumé la mèche pour marquer leur « solidarité » au leader de Pastef condamné pour « corruption à la jeunesse » après avoir été poursuivi au su de tous pour « viols » et « menace de mort », mais là n’est pas l’objet de ce qui suit, c’est plutôt les faits frappants et leur ressemblance qui nous obligent à une réflexion profonde sur les mutations de nos sociétés et les jeunesses de nos pays plus en voie de devenir un péril qu’un dividende démographique.
POLITIQUE – Pourquoi des « jeunes de cité » défient les institutions françaises ? Les émeutes, le mot utilisé par les médias hexagonaux, qui secouent la France depuis la mort de l’adolescent Nahel (17 ans) abattu à Nanterre par un policier, mardi 27 juin au matin d’un contrôle de véhicule, n’expriment qu’une « vague indignation » dans plusieurs communes populaires en Ile-de-France et dans tout le pays.
Il en est ainsi depuis les années 1980. Les scènes de violence contre les institutions qualifiées « d’injustifiables » par l’Exécutif français se suivent et se ressemblent. Pourquoi ? Emmanuel Macron aura beau dénoncer les faits, comme ses prédécesseurs, qu’il n’en a pas plus trouvé les réponses politiques et sociale vis-à-vis de ces « jeunes de cité » nés pour l’essentiel de parents émigrés.
Macron rate la France multiraciale…
C’est à croire que le Président français n’a pas pris en considération ou n’est pas en mesure d’apporter des réponses effectives et définitives aux « déterminismes sociaux » et aux vérités « ethno-raciales » pas bonnes à dire dans une France alarmiste, de plus en plus nationaliste.
Pourtant, de nombreux universitaires, parmi lesquels la sociologue Emmanuelle Santelli, ne ratent pas l’opportunité d’alerter les autorités françaises sur les identités remarquables de la nouvelle France, dans laquelle les « jeunes de cité » n’entendent plus vivre en marge du « projet français ». Pour se faire entendre, ils sont prêts et déterminés à en découdre, via les confrontations, avec les institutions, plus encore la police avec laquelle il n’y a pas débat vu le racisme qui pollue les commissariats, encore moins le travail social « discriminatoire et ségrégationniste » aux yeux de beaucoup, et l’école fort peu en phase avec eux.
Pour que persiste la discrimination, la ségrégation, le racisme
Il ne faut pas plus à ces « jeunes de cité » laissés en plan par la « suprématie blanche » de s’opposer, avec leurs armes – soit leur force, énergie, ressenti – à la discrimination et la ségrégation rendues par l’organe de répression de l’Etat, pire encore par les violences policières. Il faut avoir été interpelé pour un contrôle par un policier français au cours d’un séjour en hexagone pour apprécier la teneur sournoise et le soubassement raciste. L’échec du Président Macron à ce sujet est sans équivoque. Les médias nord-américains ne s’y trompent pas. « Les questions de discrimination et de violence policière qui persistent dans le pays » en sont ses résultats.
« Les affrontements ont gagné en intensité dans la capitale française, mettant le gouvernement Macron face à une confrontation nocturne avec les jeunes des banlieues ouvrières. Les émeutiers ont incendié des bâtiments municipaux et se sont affrontés avec la police non seulement en région parisienne, mais également à Marseille, Reims et Lyon. »
« La colère et le choc ressentis par de nombreuses personnes en France, en particulier les jeunes hommes et femmes de couleur victimes de discrimination policière », découlent justement de la politique singulière d’une France perdue par ses nombreuses politiques d’immigration en fonction de ses besoins et désormais de l’idée de plus en plus affichée se voulant blanche, chrétienne pour ne pas dire athéiste.
Le mal est plus profond que ne veut le dire l’hexagone. Le racisme. Mais, il n’y a pas que le France, toute l’Europe quasiment en est atteinte.
Les communautés multiethniques, nommons les africaines et arabes qui plus est à faible revenu, ne le savent que trop bien pour ne pas s’en plaindre et le signifier, plus encore en France qu’ailleurs. Elles saisissent le moindre flottement ou bavure policière, depuis 1970 et surtout depuis les années 1980, pour faire valoir leurs droits au même que le « Français de souche » afin de faire savoir qu’elles sont « autant et aussi françaises ». Mieux, qu’elles ont-elles choisi de l’être et de le rester, quand bien même elles ne nieraient leurs histoires, quand bien même les nationalistes ne les verraient que comme des assimilés, soit une « minorité » devenue un appendice.
Serait-ce pour cela que la réaction serait aveugle et raciste au sein des forces de l’ordre. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme appelle en tout cas la France « à aborder sérieusement les problèmes profonds de racisme et de discrimination raciale au sein de ses forces de l’ordre ». La France multiraciale ne se voudrait peut-être pas diverse.
La désillusion et une jeunesse désœuvrée au Sénégal
Les problèmes des jeunes Sénégalais ne sont pas les mêmes que ceux de leurs congénères des « cités françaises ». Le ressenti est différent. Il ne s’agit ni de discrimination ni de racisme, mais plutôt de désillusion, des effets pervers d’une démographique galopante que l’on n’ose poser sur la table, des faibles retour sur les investissements colossaux de Diamniadio, de l’absence quasi-totale de moteurs de croissance, de l’insuffisance des supports de croissance vis-à-vis des attentes populaires, de la crispation économique née de la crise sanitaire – le covid-19 – et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, de la nouvelle géopolitique et géostratégie mondiale avec en toile de fonds la lutte pour un nouvel ordre monétaire, du statut pétrolier et gazier du Sénégal qui fait saliver ou grommeler certaines puissances, des affaires et de la politique intérieure, surtout de la tenue du chef de l’Etat par rapport à un éventuel troisième mandat réclamé par les siens.
Inversement aux « jeunes de cité » françaises qui font face au racisme, à la discrimination et à la ségrégation, les jeunes sénégalais paient chèrement leurs désillusions issues de la faillite ou de l’absence du projet familial, de l’effondrement des valeurs que l’éducation en manque de cohérences et d’investissements soutenus dans la formation et formatage du citoyen sénégalais n’a pas su, pu, ou voulu organiser en vue de l’excellence pour leur réussite et leur succès. Le manque d’engagement et de solidarité à l’endroit des jeunes n’est certes pas encore reproché, mais au regard des dernières émeutes et de l’indifférence des jeunes face aux saccages de biens aussi bien étrangers que nationaux, renseigne sur « l’unanimité » dont se prévaut la violence dans son expression rendue par les jeunes. Elle se décline et s’exprime de la même manière qu’en France. Même si la thèse de casseurs pour ne pas dire de terroristes tels que cités par les autorités sénégalaises ne sont pas à écarter. Des indices et éléments recoupés attestent de la présence d’hommes rompus à la manœuvre d’armes à feu et pour les combats rapprochés. De plus, en France comme aux Sénégal, viennent s’ajouter aux manifestants les gangs.
Ce n’est pas faute d’avoir alerté cependant. Beaucoup ont vu arriver cette violence. On l’a vue se nourrir des attentes insatisfaites, grossir, se déplacer, se regrouper et enfin se déverser en 2021 et 2023. Le signal est d’abord venu de la sortie massive et triomphale des jeunes à l’occasion du retour des Lions de la CAN 2019 perdue contre l’Algérie. Telle une procession de foi ne disant pas son nom, l’accueil épique envoyait un message codé, précédant ainsi l’expression musclée de la latence d’un trop plein de frustrations familiales, sociales, existentielles. Silencieux mais non moins traversé par une onde de choc sournois, l’accueil massif des Lions traduisait pour un psychologue le rêve confisqué. Aussi cette jeunesse avait décidé de s’inventer sa victoire, de se l’approprier et de la célébrer. Cet accueil avait ses soubassements, ses risques, ses conséquences. La politique a accéléré le processus. Du pouvoir à l’opposition.
A défaut de victoire sur leur vie de galère, empilés dans les quartiers populeux de la capitale de plus en plus éloignés des lambris de la corniche, en manque de rêve à fortiori de le réaliser en dépits des politiques soutenues par le gouvernement et les partenaires pour l’emploi jeune, des jeunes (75% de la population ont moins de 25 ans) convaincus d’un avenir « hypothétique » ont pris le pari risqué de l’aventure. D’autres celui du marchand ambulant ou du banditisme. Beaucoup, plus engagés politiquement, ont trouvé en Ousmane Sonko, leader de Pastef, leur champion d’abord, leur sauveur ensuite. Ce dernier qui n’a point besoin de médias classiques pour toucher les masses, les médias sociaux faisant l’affaire -quel jeune achète un journal ou suit le JT – colle son discours à la réalité des millions de jeunes qui dénoncent le système. Pour le théoricien de « Mortal Kombat », le déterminisme jeune est une aubaine, ce d’autant que nombreux ne sont pas en phase avec le Président Macky. « Trop clanique et trop lointain ». Pour eux, le bilan matériel élogieux ne suffit pas, s’ils n’en doutent pas.
Trop de choses sont passées par là en 12 ans. Un jeune frère « trop présent » dans le secteur bancaire. On cite son nom dans le montage de la BDK, dans le monde pétrolier et gazier. Et en politique, avant qu’il ne soit écarté à la suite de la forte clameur publique et par la voie des urnes locales à Guédiawaye. Les jeunes qui « rejettent le système » évoquent « une belle-famille envahissante et omniprésente dans les affaires politique. » L’épouse n’échappe pas aux critiques. Des ministres ont chanté sa générosité. Elle les a fait nommer au gouvernement. S’y ajoute un bilan immatériel déclinant privation de liberté, chasses aux leaders politiques en puissance ou en devenir, incarcération de journalistes « indélicats ». La coupe est pleine pour les jeunes dont beaucoup prennent d’assaut l’Atlantique pour une mort plus certaine qu’une vie de bohème dans une Europe en déconfiture.
Le fossé s’agrandit d’autant que la parole donnée pour l’observance et l’application pour lui-même de s’en aller après le second mandat acquis au terme de sa réélection en 2019 précédé du référendum de 2016 s’effiloche. Les positions de principes sur le troisième mandat vendus aux Sénégalais et à l’international se discutent aussi bien dans la coalition que dans une partie de l’opposition, partie prenant du Dialogue national qui, selon des indiscrétions, a failli voler en éclats sur la question du troisième mandat et la participation des leaders en bisbilles avec les textes de loi à revoir nécessairement à l’Assemblée nationale pour leur participation prochaine à la présidentielle de 2024. Beaucoup parlent de « deal », « d’entente entre amis politiques ».
Dans cette ambiance mi-figue mi-raisin, Sonko condamné à deux ans de prison ferme et à copayer 20 millions FCFA à la jeune masseuse Adki Sarr attend d’être cueilli pour un séjour carcéral au moment où le Président Macky Sall ne s’est pas encore prononcé sur sa participation ou non aux joutes présidentielles de 2024. Il a donné rendez-vous à ses compatriotes après la fête de la tabaski pour une décision « prise en toute responsabilité et librement ». La semaine prochaine devrait édifier les Sénégalais.
Reste que rien, ni en France ni au Sénégal, ne justifie cette violence sauvage et aveugle d’abord dans le pays ensuite en Hexagone, qui cherche à faire peur, à imposer un point de vue nouveau ayant pour argument la mise à sac, le vol organisé, la mise en évidence du désordre.
Nombreux sont les Sénégalais qui estiment que la suite dépend de sa décision, faut-il ajouter qu’ils redoutent de voir le pays revivre des remous regrettables. Ces images de France ne peuvent que faire frémir et prendre peur de lendemains en pointillés. Vivement le retour au calme en France afin que le Sénégal ne bégaie pas … encore.
Charles Faye