L’organisation de défense des droits humains a documenté des exactions commises par les rebelles au Nord-Kivu et pointe la responsabilité du Rwanda voisin dans ces crimes, à travers son «soutien» au mouvement.
M23 – Il y a un an jour pour jour, les combattants du Mouvement du 23 mars (M23), s’emparaient de la ville congolaise de Bunagana, à la frontière avec l’Ouganda. La capture de cette cité frontalière, puis l’avancée des troupes rebelles et la dureté des combats qui les ont opposés à l’armée congolaise, alliée à des groupes miliciens qui pullulent dans l’Est de la RDC, signait le retour spectaculaire du M23, qui s’était réveillé quelques mois plus tôt après huit ans de sommeil. Les rebelles occupent toujours une partie de la province du Nord-Kivu, et sont encore présents autour de Bunagana, malgré le déploiement des militaires de la Force régionale de la communauté d’Afrique de l’Est (EACRF). Les négociations de paix sont embourbées. Plus d’un million de Congolais ont été déplacés par les combats.
Human Rights Watch (HRW) publie ce mardi 13 juin un rapport sur les exactions contre les civils commises par les troupes du M23 entre novembre 2022 et mars 2023, «après avoir mené des entretiens, en personne et par téléphone, avec 81 victimes d’abus congolaises, leurs familles, des témoins, des autorités locales, des représentants d’ONG congolaises et internationales, des représentants des Nations unies, ainsi que des diplomates étrangers». Leurs conclusions sont sans appel : «Les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda ont perpétré des exécutions illégales, des viols et d’autres crimes de guerre manifestes», affirme l’organisation de défense des droits humains.
«Cinq hommes sont venus et ont frappé à ma porte»
HRW a notamment documenté «8 exécutions illégales et 14 cas de viols commis par les combattants du M23», tout en précisant qu’«en raison de la stigmatisation et la tendance des victimes à ne pas rapporter ce type d’agression, le nombre total d’incidents de violences sexuelles commis par les groupes armés est très probablement beaucoup plus élevé». En février, Amnesty International avait déjà accusé les rebelles d’avoir violé «au moins 66 femmes et filles» dans la commune de Kishishe, fin novembre.
Le M23 n’est pas la seule organisation à faire usage du viol comme arme de guerre dans l’Est de la RDC. Les groupes miliciens qui le combattent, notamment les FDLR – qui compte dans ses rangs d’anciens génocidaires de 1994 au Rwanda – sont aussi accusés de violences sexuelles par des victimes citées dans le rapport. En octobre, HRW avait exposé et dénoncé la collaboration de l’armée congolaise avec ces supplétifs. Le 9 mai, Médecins sans frontières a indiqué avoir soigné 674 survivantes de violences sexuelles au cours des seules deux dernières semaines d’avril dans des camps déplacés autour de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu.
Une femme de 28 ans, citée dans le rapport, a raconté le viol collectif qu’elle a subi début janvier, perpétré par des combattants du M23 qui avaient occupé le village de Kako, dans le territoire de Rutshuru : «Après que mon mari est parti au travail, cinq hommes sont venus et ont frappé à ma porte vers 10 heures du matin… Ils ont dit qu’ils faisaient partie du M23 et m’ont demandé si j’étais mariée. J’ai répondu que oui. Ils m’ont tous violée. J’ai crié mais mes voisins étaient trop effrayés pour venir m’aider, témoigne-t-elle. Je leur ai proposé de l’argent, ils ont dit non. J’ai imploré leur indulgence. Mais ils m’ont quand même tenu les mains et les jambes et m’ont violée jusqu’à ce que je perde connaissance… Maintenant, je suis enceinte et je ne sais pas de qui est ce bébé. J’ai tellement honte. Mon mari est parti pour de bon.»
Preuves convaincantes
Un couple qui a fui les combats autour du village de Kitchanga, le 19 janvier, a raconté aux enquêteurs son calvaire après avoir été intercepté par «une dizaine de combattants du M23». Le couple circulait en compagnie de sept autres personnes dont trois femmes. Les rebelles ont attaché les hommes, les ont battus, et ont exécuté l’un d’entre eux, ont-ils expliqué. «Ils nous ont accusés d’appartenir aux FDLR et ont dit que nous collaborions avec des meurtriers», a raconté le mari, âgé de 36 ans. Ils ont emmené les femmes à l’écart et les ont violées, détaille sa femme de 37 ans : «Ils ont déchiré mes vêtements, je pleurais et les suppliais de me tuer plutôt que de me violer. Ils m’ont violée l’un après l’autre ; je criais tellement. Quand le troisième m’a violée, j’ai perdu connaissance.» Contacté par Human Rights Watch, un porte-parole du M23 a réfuté «les allégations selon lesquelles ses forces avaient commis des abus».
L’organisation de défense des droits de l’homme pointe explicitement la responsabilité du Rwanda voisin, accusé de parrainer le M23, dans ces crimes. Kigali a toujours nié son implication, mais le groupe d’experts des Nations unies, qui surveille les violations de l’embargo sur les armes et les sanctions en république démocratique du Congo, «a présenté de manière indépendante des preuves convaincantes attestant du soutien rwandais aux rebelles du M23», rappelle l’ONG. «Les meurtres et viols commis sans relâche par le M23 sont favorisés par le soutien militaire que les commandants rwandais apportent au groupe armé rebelle, insiste Clémentine de Montjoye, chercheuse au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. La RDC et le Rwanda ont tous deux l’obligation de traduire en justice les commandants du M23 pour leurs crimes, ainsi que tout responsable rwandais qui les soutient.» L’ONG encourage le Conseil de sécurité des Nations unies à «ajouter les dirigeants du M23, ainsi que les responsables rwandais qui fournissent une assistance à ce groupe armé responsable d’abus, à la liste des cibles des sanctions du Conseil».
Maderpost / Libération