Sortir de nos contradictions puériles et s’attaquer aux nombreux défis auxquels font face l’Afrique et particulièrement le Sénégal, dont certes la bataille pour l’ancrage de la démocratie, mais aussi les ruptures et réformes et surtout le changement de mentalité pour ne pas dire de paradigme afin d’assurer les transitions incontournables à l’émergence et au développement social et économique des populations et du pays.
POLITIQUE – La tenue quasi confidentielle, dans la capitale sénégalaise de la sixième édition du Forum mondial de l’économie sociale et solidaire anciennement économie informelle ainsi baptisée dans les années 1970 par des économistes du Nord, renseigne suffisamment sur l’indifférence générale vis-à-vis des enjeux nationaux au profit des masses populaires et la géopolitique de l’heure.
Il suffit de noter l’absence de débats, d’émissions et magazines télévisés à l’occasion de l’événement ayant réuni des centaines de participants venus de plusieurs pays pour réfléchir sur l’économie sociale et sociale dans le monde, pour savoir que ni la classe politique ni les médias n’accordent un intérêt pour l’économie en générale et encore à celle informelle qui pèse pourtant plus de 90% dans l’économie nationale. L’intérêt étant par ailleurs, toujours politique à la grande joie de ses acteurs.
Embarqué dans les contradictions politiques, les questions sociales et économiques restent entières, en dépit de l’inflation dans un Sénégal traversant une crise politique chronique et en passe de rater des anticipations stratégiques aussi inévitables qu’essentielles.
Notamment sur la crispation de la finance mondiale ces dernières semaines, avec la faillite de grosses banques américaines et le Crédit suisse absorbé par UBS, au moment où Dakar, comme d’autres capitales de l’Union, subit la congestion financière frappant actuellement la zone.
Personne n’en parle, comme si la crise financière internationale ne concernait pas le pays, comme si l’absence de liquidités n’était pas une réalité dans l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest.
Cela est certainement dû à la faible culture de l’information financière et économique dans la zone du fait de la très faible financiarisation et de la faiblesse de bancarisation (moins de 20%) au Sénégal. L’absence des banques dans les régies publicitaires et d’articles bancaires dans les colonnes en sont une illustration.
Et pourtant, il y a de quoi dire, de quoi prendre peur.
« Attention ! Dans la zone de l’Union Économique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), la situation risque d’aller plus vite que l’on ne croit. Elle pourrait échapper au contrôle de l’Autorité de supervision plus préoccupée à lutter contre l’inflation galopante et à sauvegarder la valeur de sa monnaie », avertit l’ « Emergentier , Cheikhna Bounajim Cissé, à propos de la crise de liquidité dans l’Union, dans une publication sur Financial Afrik en mars 2023.
Non débattu pour ne pas dire ignoré, le manque de liquidités se perçoit pourtant dans le monde des affaires et sera bientôt avec senti dans la bourse du consommateur.
Du côté des banques, certaines tirant le diable par la queue ont cessé de financer les entreprises et les ménages, se contentant des titres publics au retour sur risque sans… risque.
La conséquence, aussi bien au Sénégal que dans l’Union est la même. L’économie n’étant pas financée par les banques qui ne la finançaient déjà que très peu, va se rétracter davantage.
C’est dire combien le Forum de l’économie sociale et solidaire déroulé du 1er au 6 mai à Dakar, pour la première fois en Afrique, était une tribune pour la classe politique, dans ce contexte de faible financiarisation et de bancarisation.
Comment voudrait-on contrôler et optimiser l’argent de l’économie informelle échappant aux mailles du filet fiscal, pire, thésaurisé à domicile par centaines de millions pour ne pas dire milliards FCFA, contrairement à ce que stipule la loi ?
Dans un tel contexte de congestion monétaire et absence de financiarisation, le rationnement de liquidité induit par la raréfaction de la monnaie ne peut que favoriser l’augmentation des taux directeurs, la suppression de taux fixes, l’instauration de taux variables, la fermeture de guichets de refinancement. La situation est assez importante pour ne pas susciter de débats, des communications politiques.
Sans débat contradictoire, sans réflexion dans le champ politique et médiatique, l’anticipation non éprouvée au niveau central qui plus est dans un contexte délétère n’est pas ce qu’il y a de mieux pour le Sénégal qui pourrait avoir un réveil brutal quand la crise de liquidité débouchera sur une crise de solvabilité. Elle mettra non seulement en danger le système bancaire de l’Union, mais pèsera davantage sur la stabilité et la paix sociale dans notre pays qui traverse une forte tension.
Tout n’étant pas que politique, comme veut-on le faire croire au Sénégal, le dialogue auquel a invité le Président Macky Sall le 1er mai dernier s’inscrit dans le cadre des recommandations des partenaires financiers du Sénégal, soit le Groupe élargi de concertation et de coordination, le G50.
Lors d’une rencontre en avril 2023 avec le Premier ministre Amadou Ba en présence de plusieurs ministres, le G50 avait lancé un message non codé au gouvernement lui recommandant de « veiller au renforcement de la stabilité politique », d’assurer la « mise en œuvre effective des priorités économiques et sociales du gouvernement », de diligenter « la publication des rapports annuels de la Cour des comptes 2018, 2019, 2020 et 2021, ainsi que des rapports d’exécution des lois de finance 2020 et 2021 ».
« Nous suggérons au gouvernement du Sénégal de veiller au renforcement de la stabilité […] politique et de la fiabilité du cadre juridique. C’est un aspect tout aussi important pour le forum ‘Invest in Sénégal’ prévu en juin 2023, qui devrait attirer davantage d’investissements au Sénégal », avait dit l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) au Sénégal, Jean-Marc Pisani.
L’administration Biden qui envisage d’injecter plusieurs milliers de milliards FCFA dans l’économie sénégalaise dans les trois prochaines années n’attendent pas moins que de voir les autorités sénégalaises battre le fer pour la stabilité politique et la paix sociale. Personne n’étant assez fou pour investir dans un pays à risque.
Maderpost / Charles Faye