«Le mouton de Sada», le long métrage du réalisateur sénégalais, Pape Bouname Lopy, a été projeté ce dimanche à Ouagadougou. En compétition dans la section Perspectives, le film présente une image très réelle de la société sénégalaise, engluée dans ses contradictions entre croyances religieuses et diktats de la société.
FESPACO – Quand arrive la Tabaski au Sénégal, des hordes de moutons sont acheminées dans la capitale. Destinés au sacrifice, ces moutons assistent au premier rang pour ainsi dire, à leur futur mort. C’est cette mort que Sada refuse pour «Dou». Ce mouton que le père a acheté pour sacrifier au rituel «comme tout le monde dans le quartier».
L’année précédente, faute de mouton, la famille avait dû fuir vers le village pour ne pas subir les moqueries du voisinage. Et cette année le père est décidé à tuer son mouton pour sauvegarder sa dignité. Dans cette famille modeste où le père tient un atelier de réparation de téléviseurs et la maman un petit commerce de légumes, trouver un mouton de Tabaski est tout sauf simple.
Et c’est pourquoi le père refuse d’écouter les désirs de son fils quand celui-ci plaide pour la vie de son ami. C’est sur ce fond de conflit père-fils que Pape Bouname Lopy a bâti l’architecture de son long métrage. Le mouton de Sada, qui est en compétition dans la section Perspectives du Fespaco, est une belle proposition. Le film, tendre et émouvant, peint une fresque très réelle de la société sénégalaise. Cette société où le paraître a pris le pas sur les valeurs humaines. Une société où l’on s’éloigne de la symbolique religieuse de cet acte de sacrifice du mouton.
Dans son désir de sauver son mouton, Sada fugue et se réfugie chez son grand-père pour espérer une aide. Celui-ci n’aura que l’histoire du sacrifice d’Abraham, prêt à immoler son fils, pour espérer faire comprendre à l’enfant l’injonction divine. «J’ai eu une sensibilité envers les animaux à 17 ans quand on m’a demandé d’égorger un mouton. Je me suis senti submergé d’émotions, j’ai pleuré. C’est là où commence ma réflexion sur ma sensibilité et ce questionnement ne m’a plus quitté», indique Pape Lopy à la fin de la projection qui s’est tenue au cinéma Nerwaya. Le réalisateur accorde un traitement presque documentaire à son sujet. Tourné durant la période où Dakar attend avec fébrilité la fête de la Tabaski, le film projette cette ambiance électrique et stressante pour celles et ceux qui ne disposent pas des moyens de faire le sacrifice.
Mais au-delà de cette dimension, le film met en lumière la distance entre le père et son fils, l’impossibilité de communiquer malgré l’amour mutuel. Entre Sada et son père, le silence est la source du conflit et les paroles sont surtout des injonctions. L’enfant peinant à se faire comprendre de son père, se tourne vers sa mère. «C’est toi seule qui peut m’aider», lui dit-elle. Et celle-ci endosse alors le combat de son fils, quitte à se mettre en conflit avec son mari. Dans la nuance, la sensibilité et l’empathie, mais avec un point de vue assumé, le film visite les espaces étriqués dans lesquels la société nous enferme. Et dans l’imaginaire de Sada, les cloisons sont abattues et le mouton Dou est un membre à part entière de la famille, qui accède au salon familial et mange dans le même bol. Un personnage du mouton soigneusement travaillé pour réveiller notre humanité.
Un long parcours
«Ce film, c’est un long parcours d’écriture, de travail et d’observation de la société. C’est une réflexion sur ma sensibilité par rapport à ma société, comment elle évolue, comment elle est», explique le réalisateur. Financé et produit totalement au Sénégal, avec une post-production réalisée par le Centre Yennenga, Le Mouton de Sada a été porté à bout de bras par Lydel Com. Les nombreuses péripéties qui ont emmaillé la production, expliquent certainement pourquoi l’émotion était si forte à la fin de la projection. «On a le droit de faire du cinéma !», un véritable cri du cœur dans lequel le réalisateur exprime toutes les frustrations vécues durant le processus de production de cette œuvre. En fin de compte, dit-il, «le système n’accepte pas toujours les jeunes, ne leur donne pas de place».
Travailler avec un mouton comme personnage ? Pas facile. Mais Pape Lopy explique avoir pris le temps de travailler cette relation. A la fois entre le réalisateur et le mouton, mais surtout entre le jeune acteur, qui incarne Sada, et Dou. «Un mouton qui va être un personnage à part entière, c’était un défi pour moi. Depuis l’écriture, j’ai commencé à fréquenter les moutons pour comprendre leurs pulsions. Et avant le tournage, on a amené le mouton chez le personnage et j’allais là-bas pour qu’on s’amuse ensemble à trois.»
Au final, l’œuvre de Pape Bounama Lopy, qui avait bien sa place dans la course à l’Etalon d’or du Yennenga, annonce une belle ère pour le cinéma sénégalais. Le réalisateur, qui est une des têtes de pont du collectif Ciné Banlieue, ouvre une belle voie à tous ces jeunes auxquels le défunt Abdoul Aziz Boye a ouvert la porte du cinéma.
Maderpost / Le Quotidien