Macky Sall cède la tête de l’organisation continentale à son homologue comorien, Azali Assoumani, ce wee-kend à Addis-Abeba. Retour sur un an de plaidoyer pour «une Afrique debout et en marche vers plus de progrès».
UNION AFRICAINE – En début de semaine à Dubaï, le Président Macky Sall a pris part au 10e sommet mondial des gouvernements. Au cours de la rencontre, le président en exercice de l’Union africaine (UA) a une nouvelle fois enfilé sa robe d’avocat de l’Afrique pour dénoncer les injustices qu’elle subit « depuis quatre siècles » et qui « bloquent son décollage ».
Quelques semaines plus tôt, il avait accueilli à Dakar le sommet sur la Souveraineté alimentaire du continent (25 janvier) et celui sur le Financement de ses infrastructures (2 février). Ces deux rendez-vous ont permis d’identifier les besoins des pays africains dans ces secteurs vitaux pour leur essor.
Entretemps, le 31 janvier, le président de la République avait effectué un voyage express en France. La question du soutien de Paris pour que l’Afrique hérite d’un siège permanent au G20, était au menu des échanges avec son homologue français, Emmanuel Macron.
Contexte volatile
Macky Sall a ainsi posé les derniers actes de son mandat à la tête de l’UA. Ces initiatives constituent donc les ultimes balises posées le long du chemin de son successeur, Azali Assoumani, le Président des Comores, qui prend le relais ce week-end à Addis-Abeba (Éthiopie) lors de la 36e session ordinaire de l’organisation dont le thème est « L’accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange économique continentale africaine (ZLECAf) ».
Le chef de l’État a quitté Dakar ce vendredi pour la capitale éthiopienne. Selon le service de communication de la présidence, « en sa qualité de président en exercice de l’Union depuis février 2022, le Président Sall fera devant le sommet son discours bilan de fin de mandat ».
Macky Sall avait succédé à Félix Tshisekedi, le Président de la RDC, dans un contexte international chargé, marqué en Afrique par une relance post-Covid incertaine, des crises institutionnelles et des conflits armés. Globalement la situation n’a pas changé dans le bon sens depuis lors.
Sa marge de manœuvre était étroite. D’autant que l’évasion de l’Ukraine par la Russie est venue aggraver la situation tandis que l’organisation continentale peinait (peine toujours) à vaincre ses vieux démons : légitimité contestée, dépendance aux financements extérieurs (plus de 60% du budget 2022) et vision panafricaniste floue.
Malgré ces handicaps, le chef de l’État débordait d’ambitions. « Ensemble, nous pourrons apporter une nouvelle pierre à l’édifice continental de nos rêves : une Afrique en paix, plus libre, plus unie et plus solidaire. Une Afrique debout et en marche vers plus de progrès et de prospérité », déclinait-t-il lors de sa première allocution en tant que président de l’UA.
Il bénéficiait de conditions favorables. Il s’agit de sa légitimité de président démocratiquement élu et réélu, du rayonnement de la diplomatie sénégalaise et des bonnes relations entre Dakar et la plupart des grandes capitales dont Paris.
Rendez-vous avec Poutine
À l’heure du bilan, on retiendra de la présidence sénégalaise quelques avancées notables mais également de nombreux sujets à propos desquels les lignes n’ont pas bougé. Le rôle de Macky Sall dans la levée de l’embargo russe sur les céréales ukrainiennes, dont une partie est destinée à l’Afrique, figure en bonne place dans l’actif du bilan.
Pour obtenir ce résultat le président de l’UA avait fait fort. Alors que le conflit faisait rage, il a rencontré le chef du Kremlin chez lui le 3 juin dernier. « J’ai été à Sotchi pour parler à (Vladimir) Poutine, qui a pris des engagements qu’il a respectés, car un mois plus tard, les graines sont sorties par la Mer noire », a-t-il rembobiné lors du sommet de Dubaï.
Par ce rappel, le président de l’UA fustigeait une nouvelle fois les injonctions, ouvertes ou feutrées, des dirigeants qui pressent les pays du continent à choisir leur camp entre la Russie et l’Ukraine.« L’Afrique n’a pas à s’aligner », a rejeté Macky Sall.
Le chercheur en relations internationales Thierno Souleymane Niang applaudit dans L’Observateur. « À la tête de l’UA, souligne le spécialiste, Macky Sall a osé dire, de manière assez courageuse, qu’il faut que les Occidentaux arrêtent de nous dicter la marche à suivre. Il faut que l’on continue dans cette dynamique. »
Le président de la République a affiché la même fermeté à propos de la défense des valeurs de culture et de civilisation du continent contre les « agressions » extérieures. Signalant qu’au-delà de la vocation universelle de certains droits, libertés et principes, il y a des réalités locales dont il faut tenir compte.
Un siège au G20, presque dans la poche
Autre grande victoire de la présidence sénégalaise : les soutiens de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Union européenne, des États-Unis, du Japon, de la Turquie, de la Russie, de l’Arabie saoudite et de l’Afrique du Sud, pour que l’Afrique obtienne un siège permanent au G20. L’adhésion de l’Afrique devrait être effective lors du prochain sommet de l’organisation, en Inde.
Pour arriver à ce résultat, Macky Sall a multiplié les plaidoiries. Celles-ci, toujours empruntes de courtoisie, ont été parfois virulentes. C’était le cas en novembre dernier à Bali (Indonésie) lors du sommet du G20. « Il est inacceptable que le continent africain, vu la taille de sa population et son poids économique global, soit absent de l’instance où se discutent les questions relatives à la gouvernance économique mondiale », dénonçait le président de l’UA, qui était convié à la rencontre.
En matière de souveraineté médicale, la voix de Macky Salla également fait écho. L’Agence sanitaire de l’ONU ayant récemment retenu six pays africains pour abriter des usines de fabrication de vaccins contre la Covid-19, mais aussi d’autres médicaments. Il s’agit de l’Afrique du Sud, de l’Égypte, du Kenya, du Nigeria, du Sénégal et de la Tunisie.
Des motifs de frustrations ne manquent pas pour le dirigeant sénégalais durant ses douze mois à la tête de l’UA. Des régimes issus de coups d’État sont toujours en place, voire se fortifient, au Burkina Faso, au Mali et en Guinée. S’il a dénoncé ces putschs, Macky Salla tenu à indiquer que le règlement de ces questions n’est pas du ressort direct de l’organisation dont il assure la présidence en exercice.
« Une intervention au nom de l’UA peut s’avérer délicate, acquiesce sur France 24 Ibrahima Kane, chargé de plaidoyer pour la fondation OSIWA. La gestion de la crise (les coups d’État en Afrique de l’Ouest) est d’abord du ressort de la CEDEAO. Le rôle de l’Union africaine est d’accompagner les décisions prises, en entérinant notamment l’application de sanctions et la levée de ces mesures. »
Ce que l’organisation continentale, sous la présidence sénégalaise, a fait. En plus, le chef de l’État s’est investi en douce en vue d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel dans ces pays et de la maîtrise de l’impact des effets négatifs des sanctions des organismes internationaux sur leurs populations.
DTS, Conseil de sécurité, agences de notation…
À propos de la réallocation des Droits de tirage spéciaux (DTS), d’une transition énergétique juste, de la révision des règles du commerce mondial et de la réforme du Conseil de sécurité, les lignes tardent à bouger dans le sens souhaité par l’Afrique. Cet immobilisme a poussé le président de l’UA à revenir sur ces questions lors du sommet de Dubaï.
À cette rencontre, Macky Sall a fustigé le niveau élevé de la perception des risques liés à l’investissement sur le continent. Il dit : « Je ne vois pas pourquoi on doit nous noter toujours derrière tous les autres alors que la réalité est autre. C’est le sens de notre combat pour être au G20 pour apporter la parole de l’Afrique sur ces agences de notation qui ne tiennent pas compte de la réalité, mais qui sont toujours dans la perception. »
Pour défendre l’urgence de réformer l’organe de l’ONU chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationale, le Président sénégalais a souligné que les temps ont changé. « Les 2/3 des membres des Nations unies n’étaient pas indépendants à la naissance de l’organisation, a-t-il calculé. Tout un continent est absent du Conseil sécurité. Nous menons le même combat à la Banque mondiale et au FMI. »
Deux autres combats lui tenaient à cœur. Il s’agit de la réallocation des Droits de tirage spéciaux (DTS) et de la question d’une transition énergétique qui tienne compte des besoins en énergie du continent. Lors du sommet UE-UA des 17 et 18 février à Bruxelles, Macky Sall avait sollicité l’appui de l’Europe pour une accélération de la réallocation des DTS et pour l’assouplissement des conditions d’éligibilité.
Sept mois plus tard, en septembre dernier, lors du sommet de Rotterdam (Pays-Bas) sur le financement de l’adaptation aux changements climatiques, préparatoire à la COP 27, il avait clamé sa déception.
Cette rencontre avait accouché de 55 millions de dollars (environ 34 milliards de francs CFA) alors que 25 milliards de dollars (15375 milliards de francs CFA) étaient espérés.
« C’est avec amertume que je constate l’absence de certains dirigeants industriels », avait d’abord lancé le président de l’UA lors du discours d’ouverture du sommet. Avant d’asséner : « Ils sont les principaux pollueurs de cette planète, ce sont eux qui devraient financer ces changements. Cela nous laisse un mauvais goût dans la bouche. Je suis un peu déçu pour être honnête. »
« Nous allons exploiter nos ressources naturelles »
Macky Sall n’a jamais, non plus, manqué une occasion de dénoncer la décision de certaines grandes puissances d’instaurer des restrictions sur l’utilisation des énergies fossiles. « Nous allons exploiter nos ressources naturelles pour l’accès universel à l’électricité pour la compétitivité économique. Au même moment, nous développons les énergies renouvelables », a-t-il défendu, toujours au sommet de Dubaï.
Pour justifier cette ligne de conduite, le dirigeant sénégalais rappelle souvent que 600 millions d’Africains sont privés d’électricité. Les ressources gazières et pétrolières du continent, espère-t-il, permettront de résorber ce gap. « Nous travaillons pour que l’augmentation de la température de la planète soit maîtrisée. Nous payons l’effort pour cela, a-t-il informé à Dubaï. Au moment où je vous parle, 31% de notre énergie est renouvelable. Très peu de pays l’ont réalisé. »
Le chemin pour l’avènement d’une « Afrique en paix, plus libre, plus unie et plus solidaire » est encore long. « Il reste beaucoup de chantiers à défricher, a relevé Thierno Souleymane Niang dans L’Observateur. Un an (de présidence de l’UA) n’est pas suffisant. C’est plus symbolique qu’autre chose. (…) On sème des graines que l’on va récolter dans le futur. »
À partir de ce week-end, il appartiendra au Président comorien de veiller pendant un an à la bonne germination des siennes et de celles semées par Macky Sall durant son mandat à la tête de l’UA.
Maderpost / Seneweb