Pour espérer s’en sortir, les peuples africains devraient peut-être commencer à s’assurer que les dirigeants qu’ils se donnent les aiment et défendent leurs intérêts, de la même manière que les dirigeants des autres nations du monde aiment leurs propres peuples et défendent les intérêts de leur patrie.
CONTRIBUTION – Entre le rappel demandé de l’ambassadeur de France et la dénonciation de l’accord de 2018 relatif aux forces françaises présentes au Faso, les ingrédients d’une brouille entre le Burkina et la France semblent réunis. Pourquoi, alors, donne-t-on, à Paris, l’impression de vouloir dédramatiser ces tensions ?
Paris dédramatise, peut-être, pour ne pas rééditer les vaines querelles d’un passé récent – qui ont tant servi à distraire, à peu de frais, une partie du peuple malien, qui en oublié de demander à la junte des comptes sur sa gestion du pays.
Ces tensions avec le Burkina n’en demeurent pas moins déplaisantes, et l’on se demande à quoi il sert de vouloir les relativiser. La dénonciation de l’Accord de 2018 n’a pas vraiment revêtu une forme des plus amicales. Elle aurait pu s’annoncer et s’amorcer plus discrètement, pour ne faire l’objet d’une telle publicité qu’au moment de sa finalisation. Le choix d’une injonction, servie à la télévision, à l’heure du déjeuner, pour rappeler les délais auxquels Paris était tenu, paraissait d’autant plus inamical que cela survenait après la demande de remplacement de l’ambassadeur. Oui, on peut toujours sauver la face, en dédramatisant. Mais il n’en a pas fallu autant, pour que Dominique de Villepin parle de « déclassement » de la France.
Cette décision de rupture des Burkinabè a pu être motivée par des ressentiments récents, mais elle a sans doute aussi de nombreuses causes plus lointaines. Les autorités de Ouagadougou s’empressent, certes, d’annoncer que cela ne remet pas en cause les relations diplomatiques. Mais, si elles le précisent, c’est justement parce qu’elles savent que ces tensions peuvent évoluer vers une rupture plus profonde.
Dès lors qu’ils sont prêts à en payer le prix, les Burkinabè ont parfaitement le droit de vouloir assumer leur souveraineté. Pour qu’ils osent, à l’endroit de l’ancienne puissance colonisatrice, ce que d’aucuns perçoivent comme une humiliation, peut-être même sont-ils prêts à se passer de toute aide venant de Paris.
Tout cela semble en tout cas réjouir une partie de l’opinion africaine…
Oui, mais pas toujours pour de bonnes raisons ! Nombre de peuples du continent estiment avoir subi trop de vexations de la part des dirigeants successifs de la France, depuis les indépendances : ils leur en veulent, notamment, d’avoir régulièrement jeté tout leur poids dans la survie de régimes vomis, acquis à Paris, envers et contre leurs peuples. Ces griefs expliquent pourquoi certains semblent heureux de voir tel dirigeant non-élu toiser le Blanc. Sauf que défier la France n’est qu’un pur défoulement, sans incidence sur les problèmes fondamentaux du continent. L’Afrique s’est suffisamment abreuvée de joies futiles et éphémères, pour comprendre que la seule perte d’influence de la France ne suffira pas à la propulser dans un état de bonheur permanent.
Que peut, alors, tirer l’Afrique de l’affaiblissement apparent de la France aujourd’hui sur le continent ?
Aux dirigeants avisés, l’intelligence politique commanderait d’en profiter pour redéfinir, de manière plus avantageuse, leurs relations bilatérales, plutôt que de vouloir une rupture sèche et stérile avec un partenaire qui, bon an mal an, les inscrit dans ses lignes budgétaires, pour quelques centaines, sinon des milliers de milliards. Les apports des nouveaux amis ne seront jamais de trop. Et négocier en position de force est toujours payant. À moins que votre dignité ait été irrémédiablement bafouée, appelant un crime d’honneur, ou l’humiliation de la deuxième puissance européenne… Demain, à l’Élysée, un dirigeant mieux disposé pourrait, malgré tout, se montrer moins arrangeant avec tel pays qui aura humilié le sien.
Et d’ailleurs, pourquoi les Africains doivent-ils toujours attendre des dirigeants français qu’ils aiment davantage l’Afrique que la France ? Après tout, même avec une France féroce, ils ne s’en sortent pas si mal, les pays africains dont les dirigeants aiment leur peuple du type d’amour que nourrissent les Français pour leur propre patrie.
Jean-Baptiste Placca, éditorialiste à RFI, en 2020
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