Nous l’avions dit, redit, répété, sur les plateaux télé et dans nos articles. « On ne va pas à l’Assemblée nationale pour seulement être député, on y va pour arracher la majorité et gouverner ». Beaucoup nous opposaient alors le modèle du régime présidentiel suprématiste instauré par le Président Leopold Sedar Senghor après la crise de 1962 qui scellera le sort de l’homme fort de l’époque qui était alors Mamadou Dia, président du Conseil.
LEGISLATIVES – Le régime présidentiel suprématiste vendu jusqu’ici au peuple sénégalais volera en éclat si jamais les résultats définitifs des législatives du 31 juillet dernier confirment la cohabitation avec une nouvelle majorité acquise par l’inter-coalition Yewwi Askan Wi/Wallu à l’Assemblée nationale. Le Président Macky Sall ne pourra que prendre en haute considération la décision des masses démocratiques de changer, pour la première fois de l’histoire du Sénégal, l’ordre jusqu’ici établi par elles-mêmes au parlement et qui consistait à laisser toute la latitude au chef de l’Etat d’instruire, de faire diriger sous les directives de la primature, et ensuite de faire évaluer et contrôler par la majorité mécanique acquise entièrement à sa cause les politiques publiques sous les mécanismes de supposées démocraties représentatives et délibératives.
Ne pouvant aller à contre-courant de la volonté populaire, il sera obligé d’inviter la nouvelle majorité, pour la mise en place d’un gouvernement dont certains portefeuilles de souveraineté pourraient lui échapper au profit de l’opposition. Dos au mur, il ne pourra faire autrement que de négocier et convaincre ses nouveaux voisins du Conseil des ministres de l’opposition de l’importance d’un compromis pour la gestion sereine des politiques intérieure et étrangère. Celles de la sécurité intérieure et aux frontières du pays, enfin du suivi des politiques publiques entamées dans le cadre de son plan d’émergence. Pour dire les choses, la cohabitation l’obligera à composer avec la nouvelle configuration politique du pays, à faire simplement contre mauvaise fortune bon cœur et tracer ensuite sa route pour sa reconversion.
Pied de nez au Conseil constitutionnel
Nous l’avons dit et redit, Il est devenu salutaire pour le Sénégal de repenser le Conseil constitutionnel afin de le rendre plus digeste et compréhensible. Pointé du doigt en 2012, après qu’il eut donné un avis favorable au Président Wade pour une troisième candidature à la présidentielle après 2000 et 2007, il fut à nouveau indexé en 2015, quand il eut soutenu que le successeur de Me Wade ne pouvait réduire son mandat de 7 a 5 ans, comme il l’avait promis à ses compatriotes et électeurs, en fin de campagne électorale de la présidentielle de 2012.
Pourtant, le même peuple auquel il dépossédait son plein droit de se prononcer sur la question par voie référendaire était convié par Macky Sall pour dire oui à la 4e Constitution au referendum du 16 mars 2016. Plus récemment, ses décisions, d’une part, de disqualifier les 53 titulaires de la liste nationale de la coalition Yewwi Askan Wi et, un plus tard, d’autre part, d’en faire autant, avec cette fois la liste des suppléants de Benno Bokk Yakaar pour les législatives du 31 juillet, scotchaient tous les analystes et profanes. Il était jusqu’ici fait obligation à tous les candidats aux législatives, quels qu’ils soient, de présenter une liste nationale comprenant une liste de titulaires et une autre de suppléants garanties de légale conformité.
Fort heureusement, Yewwi Askan Wi préféra la voie de la raison à celle de la rue et mit en branle une stratégie pour inverser une tendance guère favorable, mais qui pouvait s’avérer payante si elle mettait en place le mécanisme qui conforterait une démarche unitaire pour la majorité à l’Assemblée nationale. Au regard du vote massif des électeurs au profit des suppléants de la liste de Yewwi Askan Wi, le defi simple de battre des titulaires de BBY n’est pas loin d’être atteint.
Comment en est-on arrivé là !
La formidable percée électorale opérée par l’inter-coalition Yewwi Askan Wi/Wallu s’explique. Aussi bien par la popularité et l’encrage de ses leaders parmi lesquels les plus en vue, le phénomène Ousmane Sonko que nous avons baptisé El Phénomèno dans nos chroniques, et l’indéboulonnable Me Abdoulaye Wade toujours jeune dans la tête, avec l’envie, la détermination et l’engagement politique nécessaires pour ne pas s’arrêter. Tant qu’il lui restera une once d’énergie, Wade sera dans la sphère politique, quoi qu’en disent ses compatriotes, surtout si Karim Wade est toujours en exil.
Et les Sénégalais le lui rendent bien, appréciant sûrement sa détermination, son encrage et son combat pour le retour de son fils. Un exemple de combativité. Il en est de même pour le leader de Pastef/Les Patriotes pour lequel les populations sont sorties afin qu’il n’aille pas en prison en mars 2021, à la suite d’une sombre histoire de viol. Adulé, porté par les jeunes, Ousmane Sonko est certainement l’homme politique qui s’est le mieux inscrit dans l’ère de son temps, marqué par la révolution digitale et la relation quasi maladive de ses compatriotes avec les Réseaux sociaux. Comme Me Abdoulaye Wade qui bénéficia de la libération des bandes FM et l’arrivée de la téléphonie mobile dans les années 1990 et un peu plus tard comme Macky Sall avec l’éclosion des chaines de télévisions privées dans les années 2000, Sonko a tiré un grand profit de l’explosion des RS qui vont lui fournir une armée redoutable de veilleurs au vocabulaire souvent châtié.
Comme Abdou Diouf et Me Abdoulaye Wade, Macky Sall ne comprendra pas que la société sénégalaise, en pleine évolution, changeait de paradigme avec, à chaque fois, une connaissance plus exacte des termes et formes de la démocratie. Informée uniquement par les médias d’Etat au début des indépendances et dans les années 1970, elles le seront davantage avec les médias d’opinion puis la presse et les radios privées dans les années 1990. Ce qui modifiait et leur relation au pouvoir et leur rapport avec la démocratie dont elles percevaient une autre dimension. Depuis, elles se sont appropriées les médias sociaux, les transformant en une plateforme d’expression libre et totale donnant plein exercice à la démocratie d’opinion avec la manifestation qu’on lui connait, celle de la participation plus large du public au débat. Ousmane Sonko a compris que ce nouvel espace public offrait toute la latitude á ses partisans ou non de délibérer des affaires publiques sans que le pouvoir public, en dépit de tous ses moyens, ne puisse bloquer ces nouveaux canaux informant non seulement l’opinion, mais encore la préparant à un exercice direct d’une relation nouvelle au pouvoir.
Comme dans tous les pays, le Sénégal ne dérogeant pas aux nouvelles réalités imposées par la société de l’information, offrait á sa population, particulièrement les jeunes, de déclencher les termes d’une révolution électorale portée par la première, elle digitale. Cela semble avoir fait mouche.
Charles FAYE
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