“Sénégal, terre étrange. Où en certaines circonstances, nos gouvernants affublent les événements d’une forme étrange et débitent eux-mêmes un discours si étrange que tout finit dans le dérisoire. Telle est la sarabande communicationnelle où ils cherchent à nous emballer depuis qu’une impertinente journaliste britannique a remué la camarine du pétrole.
Mais de cette surenchère médiatique, le son de la musique est creux et curieux. Curiosité faite d’une contradiction de nature aporétique, entre l’implacable impertinence de cette enquête journalistique, l’extrême gravité des révélations et le déchaînement de toute la confrérie gouvernementale à crier plus haut que la clameur indignée suscitée par ce scandale en pétrodollars.
Dans cette logique de l’enfumage, Sonko ne serait qu’un sycophante impénitent. Garnement ingénu qui s’amuserait avec une boîte d’allumettes au milieu de barils de pétrole. Mayéni Jones ne serait qu’une pyromane à la solde de lobbies étrangers enivrés par les fortes senteurs de notre pétrole. Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les improbables péripéties de ce simple reportage journalistique sont une illustration surannée des survivances du fait colonial.
En effet, au rebours de toute logique, les Indépendances ont inauguré l’ère de la véritable dépendance. Car depuis lors, toutes les décisions majeures qui engagent le destin de nos jeunes Etats Nations nous sont annoncées de l’étranger. Où nos dirigeants vont s’aplatir devant des journalistes étrangers : pour polir leur image devant la communauté internationale.
Et s’adresser à leur peuple en une langue étrangère qui, en priorité, parle à cette congrégation qu’on nomme communauté internationale. Et accessoirement, à une minuscule oligarchie locale totalement inféodée au système référentiel axiologique et symbolique du modèle culturel occidental. C’est précisément pour cette raison que le travail ordinaire d’un journaliste a le pouvoir de littéralement ouvrir notre boîte de Pandore.
En vérité, tout l’intérêt du reportage tient exclusivement au statut d’étranger du reporter. Qui confère à son enquête une tonalité si étrangement tragique. Au point que toute la République se bouche les oreilles.
Et ne les ouvre que pour s’écouter et s’entendre dire la seule «vérité» absolue qu’ils veulent que tous entendent et admettent comme telle : Aliou ne saurait être sale, car c’est le frère préféré du Président préféré de plus de 58% de Sénégalais. Et qui depuis sa prise de pouvoir, nous promet une gouvernance sobre et vertueuse. C’est dans cette chétive perspective que s’inscrivent le Garde des Sceaux et le Procureur de la République.
«Nous allons mener une enquête complète», avertit l’un. «Personne ne sera épargné», menace l’autre. Si les mots ont un sens, «une enquête complète» signifie (inconsciemment ?) des investigations si générales, impersonnelles, élastiques que la profusion risque de créer la confusion : entre l’essentiel et l’accessoire, la vérité et son contraire, l’effet et la cause. Et, si «personne ne sera épargné», ce sera forcément comme dans la cour du roi Pétaud. Où le désordre est si bien organisé que personne n’est jamais ni responsable ni innocent ni coupable de quoi que ce soit.
En définitive, cette affaire est une véritable catastrophe humanitaire. Que l’on cherche à mutiler en une faute professionnelle d’un journaliste maladroit et partisan. Une faute qui se corrigerait sur le terrain médiatique. Et de façon souterraine par des arrangements diplomatiques. En attendant, devant Dieu, les hommes et le tribunal de sa conscience, le Procureur doit reprendre conscience des terribles devoirs de sa charge.
Le Président Sall doit savoir que s’il se salit dans cette sale affaire, jamais plus il ne sera propre. En attendant, loin de toute cette agitation, pendant que tous les prédateurs du monde reniflent nos fonds marins, nos pauvres paysans, aux premiers rangs de tous les damnés de cette terre de «téranga», scrutent anxieusement le ciel. Dans l’espoir d’un bon hivernage qui leur fournirait de quoi subsister jusqu’au prochain. Au prochain hivernage, à la prochaine catastrophe…
Fallou Mbacké DIALLO